Publié le 13/05/2022
déclarait, il y a peu, un homme politique français d’envergure internationale interviewé sur une radio de service public… Qu’on en juge : peut-être en train d’émerger d’une pandémie mondiale dont la durée a déjà dépassé les deux ans, soumise plus que jamais au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité, on s’aperçoit à présent que la planète entre dans une nouvelle période géopolitique extrêmement troublée, dont on prend mieux conscience de la violence, au fur et à mesure qu’elle se rapproche de chez nous… La guerre en Ukraine et ses conséquences rebattent les cartes et réorganisent les facteurs d’évolution du contexte ; prenons par exemple, la situation alimentaire de plusieurs pays en essayant de l’observer à différentes échelles ; regardons de plus près, pour être concrets, l’Egypte et la Tunisie.
C'est à travers de nombreux articles de presse que le grand public découvre aujourd'hui leur dépendance structurelle vis-à-vis des importations de céréales et plus généralement de grains et tourteaux en provenance des pays exportateurs de produits agricoles ! Les autorités nationales et la FAO sonnent l'alarme : l'Egypte dépend, à plus de 60 % de ses importations, de blé russe et la part en provenance de l'Ukraine s'élève à 20% ; la Tunisie importe aussi massivement de « l'or blond », 46% du total venant d'Ukraine et environ 10% de Russie…
Les risques de pénurie sont au plus haut ! Mais, au-delà du cas de ces deux pays, il faut aussi regarder comment la conjoncture mondiale se tend de façon critique : partout les prix s'envolent ! D'un point de vue de l'économie des échanges cela se comprend bien, et trois phénomènes se conjuguent. D'abord, la loi de King, qui explique que, pour les produits de l'agriculture, la demande étant rigide et l'offre inélastique – il faudra attendre les prochaines récoltes pour pouvoir éventuellement augmenter cette dernière –, une petite baisse de la disponibilité entraînera une forte hausse des prix ; ensuite, il y a les reports de demande d'un produit sur l'autre qui globalisent les hausses de prix (la mondialisation des échanges facilitant cela et la « contagion » étant très rapide) ; enfin, leçons tirées de la première crise alimentaire « mondialisée » de l'histoire (2007 / 2008), les spéculateurs financiers savent que les bénéfices réalisables sur ces produits, peuvent être considérables ; rien ne les empêchera de s'en priver…
Mais, ce n'est pas tout.
Le contexte a aussi été bouleversé dans le domaine de l'énergie : le baril de pétrole, était en hausse depuis le 2° semestre 2021 à cause de la « relance », notamment chinoise, avant donc le début de la guerre en Ukraine ; celle-ci a aussi changé la donne en matière de gaz et ce sont toutes les énergies dont les prix atteignent, désormais, des sommets jusqu'ici inégalés. « Mauvaise concordance des temps », diront certains ? À dire vrai, pas seulement, car la FAO signale que les marchés agricoles et ceux de l'énergie sont « étroitement liés », et cela pour au moins deux raisons : d'une part à cause de la montée des coûts des inputs de la production agricole, les engrais coûtant plus chers si l'énergie nécessaire à leur fabrication augmente, d'autre part quand les disponibilités de l'alimentation du bétail et celle des hommes se font plus rares – donc plus chères – à cause de la concurrence avec les agro-carburants devenus plus compétitifs si le pétrole se renchérit…
Les risques de graves pénuries alimentaires sont à présent avérés !
L'alerte de la mi-mars d'António Guterres, Secrétaire Général de l'ONU, est claire : « il faut s'attendre à un ouragan de famines ! » Face à ces prévisions pessimistes, les agriculteurs les plus « modernisés », en Europe et particulièrement en France, savent ce qu'il leur reste à faire : remettre en culture les jachères et se réengager dans les voies du « productivisme », en faisant « sauter les barrières de la surrèglementation » (sic), c'est à dire en demandant à être débarrassés des limites posées à l'utilisation des pesticides et des engrais azotés, comme l'ont déclaré certains porte-paroles d'un grand syndicat agricole bien connu ! Las, ce serait revenir en arrière et de nouveau vouloir ignorer les liens néfastes que ce type de modèle de développement entretient avec le dérèglement climatique et la perte de biodiversité. Décidément, la réalité du fonctionnement durable de nos sociétés ne peut pas être découpée en « tranches de saucisson » !
Ce panorama de la situation, pour volontairement compact et synthétique qu'il soit, montre assez clairement que les différentes facettes du paysage dessinées en tirant la pelote de fils emmêlés à partir de celui des risques de pénurie alimentaire, sont, à l'évidence, en relation les unes avec les autres :
Les facteurs de production, les modes d'échange et de consommation des terrestres et les conditions d'habitabilité de la planète – pour reprendre les mots de Bruno Latour – forment un système. Comme dans la comptine
l'ensemble des éléments compose une chaîne ou plutôt un grand nombre de chaînes de causalité / effet complexes, d'interactions et de rétroactions. Et qu'on ne s'y trompe pas : la guerre en Ukraine n'est pas à la racine de tout cet enchevêtrement ; elle ne fait que « révéler » comment le système est structuré et selon quelles modalités il fonctionne. Qu'on ne s'y trompe pas non plus : le « tout est lié » n'est pas explicatif que du seul système alimentaire ; on pourrait l'appliquer tout autant en utilisant comme point d'entrée les questions de santé (comme plusieurs analyses de la pandémie Covid-19 l'ont montré), ou bien encore celles d'éducation, d'écologie, etc.
Tout est lié ! « Est-ce vraiment nouveau ? », diront certains ; «Ah, la belle affaire ! » s'exclament-ils en pensant « qui oserait ne pas applaudir aujourd'hui à la pertinence et à la cohérence de la pensée systémique ? »Pourtant, force est de reconnaître que quand il s'agit de passer à l'action ou quand il s'agit de traduire l'analyse des interactions en activités de terrain, les vieux réflexes réapparaissent sur le mode « quand on fait de tout, on ne fait rien de bien » ou encore « si on veut agir efficacement, il faut que chacun garde sa spécialité. » Les conséquences de la guerre en Ukraine nous en ont encore donné, dans le domaine de la solidarité notamment, des exemples : beaucoup de mobilisations solidaires ont été « fragmentées » à l'aune des spécialités, des compétences ou des mandats des uns et des autres ; d'autres au contraire, plus rares, ont travaillé dès le début de la crise qui se traduisait comme l'on sait par un grand nombre de déplacés et de réfugiés, dans la plus grande transversalité.
Prendre au sérieux le « tout est lié », comme cela a commencé d'être fait en 2015 en adoptant les ODD, c'est assurément ne pas en rester à ce que cette façon de voir permet de comprendre du monde dans lequel nous vivons et dont l'évolution semble nous échapper. Il nous faut aller plus loin : le « tout est lié » mérite d'être approfondi jusqu'à penser, à nouveaux frais, le cadre du développement et de la solidarité. Tel que celui-ci a été pratiqué jusque-là, il est l'objet de nombreuses critiques tant à cause des impasses dans lesquelles il nous mène que par la perte de confiance qu'il subit de la part de ceux qui devraient en être les premiers bénéficiaires. De fait, si nous sommes tous dans le même bateau, et que donc nos destins sont liés, nous devons reconnaître que nous ne sommes pas installés dans les mêmes cabines : si les interdépendances existent bel et bien, elles n'ont pas les mêmes résultats et mêmes effets pour tous. Peut-être nous faut-il prendre un peu plus conscience de la signification du mot « solidarité », en revenant à son étymologie ? « Faire un (dans la dépendance réciproque des personnes) » nécessite d'une part de « faire » plus de « communs », en abandonnant beaucoup d'intérêts privés / particuliers, d'autre part de revisiter nos interdépendances dans un sens à la fois plus durable, mais aussi, plus équitable. Écrire ensemble une nouvelle grammaire de nos interdépendances, voilà la tâche à laquelle il nous faut nous atteler !
Pierre-Jean Roca
Référent ODD à So Coopération
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